Au mois de juin, nombre de loges s'apprêtent à fêter le solstice d'été. C'est souvent l'occasion pour leurs membres de banqueter avant de se séparer pour les vacances. Et de boire, bien sûr, diverses "poudres fortes" (vins et liqueurs) dans une atmosphère à la fois fraternelle et conviviale.
Ce n'est pas partout la même chose, loin s'en faut. Je voudrais citer ici le cas étonnant et peu connu de la franc-maçonnerie de l'Etat de l'Indiana (Etats-Unis d'Amérique) qui, sur la question de l'alcool, est d'une intransigeance telle, qu'elle rebuterait sans doute une écrasante majorité de frères Français.
En 1902 par exemple, les ateliers de la Grande Loge de l'Indiana (Etats-Unis) ont débattu de la question suivante : "Est-il conforme aux lois maçonniques en vigueur dans l'Indiana qu'une loge serve du vin et d'autres spiritueux durant ses banquets ?" (cf. Die Bauhütte, 18 octobre 1902, p. 335).
La réponse du Grand Maître de l'époque, le Frère Orlando W. Brownback, fut... négative ! Et même d'une sévérité qui, aujourd'hui, susciterait en France l'incompréhension, la stupeur et sans doute aussi les rires. Le Grand Maître de cette obédience préconisait des poursuites disciplinaires à l'encontre des loges qui servaient des boissons alcoolisées aux frères ! Le Grand Maître Brownback ne faisait, en réalité, que confirmer une interdiction en vigueur depuis... 1843 !
Il faut dire que l'Indiana était un des Etats américains les plus favorables à une prohibition de l'alcool, bien avant d'ailleurs la prohibition généralisée de 1919. En 1895, la loi Nicholson avait ainsi considérablement restreint l'octroi des licences. L'Anti-Saloon League (ASL) était très active comme d'ailleurs les ligues de vertu plus ou moins proches de la très puissante église presbytérienne.
Boire de l'alcool était même présenté à l'époque par certains politiciens comme une pratique étrangère à la culture américaine (par exemple, le vin était associé aux Français, la bière aux Allemands), la culture américaine étant bien entendu celle des Whites Americans Saxons Protestants. L'Indiana, qui fut une terre de passage pour les pionniers de la Conquête de l'Ouest, entendait donc combattre les ravages liés à l'alcool (santé, désordre familiaux, problèmes relationnels, inefficacité au travail, etc.) par des restrictions réglementaires de plus en plus draconiennes.
Et dans ce contexte d'abstinence pour le moins particulier, il n'est pas étonnant que les loges locales aient été astreintes, elles aussi, au régime sec par des dignitaires qui sont allés piocher dans les textes anciens de la Franc-Maçonnerie la justification de l'interdiction de l'alcool pendant les banquets, un peu à l'image de ces pasteurs toujours prompts à chercher dans la Bible la justification de tout ce qu'ils préconisent aux autres.
Et de citer notamment ce passage des Constitutions d'Anderson (1723) relatif à la conduite à tenir lorsque la loge est fermée et que les frères ne sont pas encore partis :